Comment l'État Français a ruiné EDF !
Face à la hausse sans précédent des prix de l’électricité ces dernières semaines, avec le prix du MagaWattheure ayant touché un record historique à 620 euros fin décembre dernier,

et un prix qui continue d’afficher des niveaux historiquement élevés par rapport aux années précédentes,

dans un contexte de tensions sur la disponibilité des installations de production françaises, comme j’en avais parlé dans ma vidéo sur le “Grand Black-Out” et sur l’approvisionnement gazier de l’Europe et les tensions avec la Russie dont j’avais expliqué les enjeux géopolitiques dans une précédente vidéo également, le Gouvernement a décidé de prendre des mesures exceptionnelles pour préserver, soit disant, le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité de l’approvisionnement des entreprises.
Le Gouvernement a décidé d’augmenter à titre exceptionnel, de 20 TeraWattheures, le volume d’ARENH qui sera livré en 2022, afin que l’ensemble des consommateurs bénéficie de la compétitivité du parc électronucléaire français, auquel s’ajoute la baisse pour un an de la TICFE, c’est-à-dire la Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d'Électricité à son niveau minimum prévu par le droit européen à compter du 1er février prochain passant de 22,50 euros à 50 centimes le MegaWattheure.
Ces dispositions ayant pour objectif de limiter la hausse des tarifs réglementés de vente d’électricité à 4% au lieu des 35% qui auraient dû avoir lieu viennent en complément du chèque énergie de 100 € qui a été distribué au cours du mois de décembre 2021.
De plus, coup après coup, après la prise de l’acte de la part d’EDF quant à l’adoption de ces mesures et le fait que cela allait impacter le groupe pour un montant allant de 7,7 milliards d’euros à 8,4 milliards d’euros, le groupe a fait savoir qu’il procédait à une révision de son estimation de production nucléaire pour 2022 à 300/330 TeraWattheures, contre 330/360 TeraWattheures suite au prolongement de la durée d’arrêt de 5 réacteurs du parc nucléaire français d’EDF ce qui n’a fait qu’amplifier l’effondrement de 20% du cours de bourse de l’entreprise publique Électricité De France !

L’élection présidentielle approchant à grand pas et quand on sait que d’après les sondages, la principale préoccupation des français concerne le pouvoir d’achat, on comprend aisément l’inquiètude du gouvernement.

Table des matières :
Les prémices de l’ARENH et la “libéralisation” du marché de l’électricité
L’illusion de la “privatisation”, de la “libéralisation” ou de la “mise en concurrence”
1. Les prémices de l’ARENH et la “libéralisation” du marché de l’électricité
Avant même de commencer, il me semble important de bien comprendre le système de l’ARENH, acronyme de “Accès Régulé à l'Electricité Nucléaire Historique” et son fonctionnement afin de mieux appréhender les mesures prises par le gouvernement et l’impact qu’elles sont susceptibles d’avoir sur l’entreprise publique EDF.
Il faut savoir qu’à l’époque, les particuliers souscrivaient uniquement au TRV, c’est-à-dire le Tarif Réglementé de Vente auprès d’EDF dans la majorité des cas et auprès de quelques ELD, c’est-à-dire des Entreprises Locales de Distribution dans certains cas.
Ces tarifs fixés par les pouvoirs publics proposés par EDF et les ELD sont au nombre de trois, au choix entre :
L’option de Base, où le prix du KiloWattheure est constant, quelle que soit l’heure de la journée.
L’option Heures Creuses, qui permet de bénéficier d’un tarif plus avantageux qui varie selon les heures de consommation entre les heures pleines et les heures creuses.
Et finalement, l’option Tempo, qui réunit 6 tarifs différents, classés par couleurs : bleu, blanc et rouge, auquel s’ajoutent des périodes d’heures creuses et d’heures pleines.
Ensuite, à partir de 2007 et l’ouverture à la concurrence, les particuliers ont pu également commencer à opter pour les offres de marchés chez des fournisseurs non-historiques, dits alternatifs, comme Total, ENI, Engie et même EDF qui propose également des offres de marchés.
À savoir que ce mécanisme avait déja démarré dès 1999 pour les entreprises et la libéralisation totale, du moins la supposée “libéralisation” a été instaurée à 100% à partir de 2007.

Ainsi, la mise en place du système de l’ARENH s’inscrit dans un contexte particulier, issu de la transposition dans le droit français de la Première Directive européenne de libéralisation du marché intérieur de l'électricité en 1996 dont “l’objectif est de garantir un marché performant offrant un accès équitable et un niveau élevé de protection des consommateurs, ainsi que des niveaux appropriés de capacité d’interconnexion et de production”.
En ce sens, en vertu de ces dispositions, les activités de production et de fourniture d’électricité, c’est-à-dire la commercialisation sur cette image, passent dans le domaine concurrentiel. Les activités de gestion du réseau, c’est-à-dire le transport et la distribution restent dans le domaine monopolistique et sont assurés par RTE, initiales de Réseau de Transport d’Électricité dans le cas du Transport, et par Enedis dans le cadre des activités de distribution.

Si la concurrence dans les activités de fourniture est rude et il y a de nombreux acteurs, dans le cas de la production, en réalité, EDF et Enedis produisent à eux seuls 95% de l’électricité en France, les 5% restants provenant d’autres acteurs comme E-on, Enercoop, Neoen et ainsi de suite.

EDF occupe donc une place particulièrement importante notamment grâce à sa production nucléaire.
En ce sens, dans la mesure où l’électricité d’origine nucléaire est celle qui présente les coûts de production les plus faible et qu’elle est produite et commercialisée par EDF,

tant que les prix des combustibles fossiles étaient bas, les fournisseurs pouvaient racheter l’électricité d’origine fossile pour la revendre aux ménages et aux entreprises à bas prix tout en concurrençant EDF en tant que fournisseur, qui tout naturellement perdait des clients.

La concurrence faisait donc son travail, ces derniers proposaient réellement des tarifs compétitifs ce qui permettait de faire baisser la facture d’électricité des usagers au début des années 2000.

Sauf que voilà, entre 2005 et 2007, les prix des ces sources fossiles explosent et les fournisseurs ne sont plus en mesure de proposer des tarifs compétitifs et donc pour soit disant favoriser la concurrence, les élus français vont mettre en place le fameux ARENH.
En effet, les industriels qui avaient fait le choix de passer aux offres de marchés ne pouvaient plus retourner aux tarifs réglementés qui eux continuaient de baisser puisque majoritairement d’origine nucléaire en vertu de la Directive européenne qui interdisait la réversibilité.

Dans un premier temps, en 2006 les élus vont donc voter la mise en place du TaRTAM, acronyme de “tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché” qui permettait de revenir à un tarif réglementé, pour une période de 2 ans au maximum, majoré de 10% à 23% et dont le coût était déjà supporté par EDF.
Évidemment, cela étant interdit par le droit communautaire, la Commission européenne avait engagé une procédure contre la France en 2007 et donc pour sortir de l’impasse, respecter le droit européen et permettre aux consommateurs français de continuer à bénéficier des avantages du nucléaire sans compromettre l’entrée de fournisseurs concurrents, c’est ainsi qu’est instauré l’ARENH par la loi NOME acronyme de Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité.
2. La grande arnaque de l’ARENH
Ainsi, alors que l’objectif initial était de promouvoir la concurrence en ouvrant simplement l’accès à la fourniture et la production d’électricité à d’autres acteurs, ce qui est louable en soit, la mise en place de ce dispositif est en réalité venu contrecarrer ce but en appliquant une sorte de protectionnisme en faveur des fournisseurs alternatifs. Autrement dit, sous-couvert de promouvoir la “concurrence”, nos élus ont mis en place un mécanisme de protection évidemment extrêmement délétère et allant à l’encontre d’une réelle concurrence : la libéralisation du marché de l’électricité est donc une chimère qui n’a de libéralisation que son nom puisque le politique a une nouvelle fois fourré son nez.
Ainsi, avec l’ARENH, EDF devait vendre une partie de sa production d’électricité à un tarif fixé à 40 euros le MégaWattheure en 2011 puis à 42 euros le MégaWattheure depuis 2012.
À savoir que le dispositif ARENH ne peut pas excéder les 100 TeraWattheures par an. Autrement dit, sachant que d’après les derniers chiffres publiés par EDF, le groupe a produit près de 502 TeraWattheures en 2020, cela signifie que le groupe doit tout de même vendre 20% de sa production à un prix fixe.

Et c’est précisément là que l’on comprend l’étendu des problèmes !
Sur le marché de l’électricité, je l’avais expliqué dans une précédente vidéo, il y a ce que l’on appelle le prix spot, c’est-à-dire le prix de marché d’un côté et de l’autre côté, il y a le prix qui est réellement payé par les usagers, c’est-à-dire tel qu’affiché sur notre facture.
Aujourd’hui :
34% de la structure de la facture de l’électricité en France est due aux diverses taxes que sont la TVA, la TLCFE, la CTA et la TICFE, ensuite,
28% concerne l’acheminement, c’est-à-dire, le transport et la distribution, c’est ce que l’on appelle le TURPE, acronyme de Tarif d'Utilisation du Réseau Public d'Electricité en plus des coûts de commercialisation, et finalement
38% ont trait à la fourniture qui est majoritairement constituée du prix spot de l’électricité, c’est-à-dire le prix de marché de l’électricité et une plus petite partie a trait aux coûts de commercialisation et la marge du fournisseur.

De ce fait, pour pouvoir réduire la facture d’électricité, on peut jouer sur ces trois variables. En réalité, on peut d’ores et déjà éliminer les 28% de l’acheminement car ici, il n’y a pas de concurrence, ensuite, cela en va de même pour la partie fiscalité puisqu’elle est imposée, malgré tout, une des mesures mises en place par le gouvernement pour 2022 a été de faire passer la TICFE de 22,50 euros le mégawattheure à 50 centimes, le minimum autorisé par Bruxelles, c’est dire l’enfer fiscal français, Taxe qui soit dit en passant servait à l’origine à financer le surcoût des Énergies Renouvelables, et finalement, il y a la partie correspondante à la fourniture.
Autrement dit, il n’y a que sur cette partie que la concurrence est susceptible d’apporter un bénéfice. Sauf qu’on vient de le voir, cette partie est elle-même composée en grande partie des coûts de production et une petite partie des coûts de commercialisation.
En ce sens, dans la mesure où la production de l’électricité en France est assurée à 95% par EDF grâce à l’énergie nucléaire, en fait, la concurrence ne peut jouer que sur les coûts de commercialisation des fournisseurs, c’est-à-dire pour moins de 10% de la facture, c’est donc une infime partie du prix payé par les ménages.

Ainsi, les fournisseurs peuvent :
soit acheter l’électricité chez EDF
soit acheter l’électricité chez d’autres producteurs en payant le prix spot, c’est-à-dire le prix de marché classique.
Le problème, c’est que comme vu précédemment, après la crise de 2008 et l’augmentation de l’électricité d’origine fossile, ces derniers ne pouvant jouer que sur une toute petite partie de la facture d’électricité pour faire baisser les prix et attirer des clients, puisqu’ils ne contrôle pas vraiment les coûts de production s’ils ne sont pas producteurs eux-même, la meilleure solution était de pousser l’État à ce qu’il oblige EDF à revendre une partie de sa production d’électricité à un prix fixé par avance sous prétexte qu’il fallait promouvoir la concurrence alors qu’il s’agit en réalité, non pas d’une concurrence naturelle du marché mais bien une concurrence faussée par la manipulation des prix : c’est ainsi qu’est né l’ARENH !
Et cela est extrêmement intéressant pour les fournisseurs alternatifs qui auraient déjà probablement disparus sans ce mécanisme puisque comme on peut le voir sur ce graphique, l’ARENH est fixé à 42 euros le MégaWattheure, or le prix spot de l’électricité n’est pratiquement jamais sous ces 42 euros. Avec ce mécanisme, lorsque les prix du marché de l’électricité, se trouvent au-dessus du prix de l’ARENH les fournisseurs utilisent le dispositif et lorsqu’au contraire, l’ARENH est supérieur au prix du marché de gros de l’électricité, aucun des fournisseurs ne se tourne vers lui car il devient inintéressant.

Ce fut le cas par exemple en 2016, année durant laquelle, bizarrement, la demande d’ARENH fut nulle.

Il s’agit donc d’un magnifique jeu de dupes où : pile EDF perd, face les fournisseurs alternatifs gagnent …
Ainsi, dans un contexte où les prix de l’électricité pour 2022 continuent d’exploser, l’État a donc décidé d’augmenter la livraison d’ARENH de 20 TeraWattheures passant de 100 à 120 TeraWattheures et même si le prix payé pour ces 20 TeraWattheures supplémentaires est porté à 46,20 euros le MégaWattheures au lieu des 42 euros classiques, les fournisseurs ne peuvent que se réjouïr.

Ainsi, concrètement, sachant que EDF a annoncé baisser ses prévision de production nucléaire à 300/330 TeraWattheures, la vente de 120 TeraWattheures a un prix bradé signifie un vol de 36 à 40% de sa production.
Sauf que ce n’est pas tout car EDF vend une large part de son nucléaire sur les marchés “à terme” au travers de ce que l’on appelle des contrats futures afin de se couvrir contre la fluctuation des prix qui sont très volatiles dernièrement.
Autrement dit, concrètement, EDF va devoir acheter à prix fort sur le marché “au jour le jour” les 20 TeraWattheures de nucléaire qu’elle a déjà vendus sur ces marchés à terme, il y a plusieurs mois donc quand les prix étaient moins rémunérateurs qu’aujourd’hui.
Pour faire simple, cela reviendrait à acheter de l’électricité à 300 euros le MégaWattheures pour le revendre à 46,20 euros, soit six fois moins chère.
Voilà comment faire couler une entreprise dont l’endettement s’élève déjà à plus de 40 milliards de dollars et que le contribuable devra rembourser.
3. L’illusion de la “privatisation”, de la “libéralisation” ou de la “mise en concurrence”
En fait, le fonctionnement de l’ARENH et de la supposée “libéralisation” du marché de l’électricité, c’est un petit peu comme s’il y avait un boulanger appelé EDF qui produit du pain et le vend également à sa clientèle et une multitude de supermarchés se fournissent chez plusieurs artisans dont notre boulanger EDF.
Ces différents supermarchés ont donc la possibilité de se fournir chez le boulanger EDF ou d’autres en fonction de celui qui propose les tarifs les plus intéressants qui jouent donc le rôle de grossistes.
Tant que tout va bien, les supermarchés se fournissent chez des boulangers autre qu’EDF. Sauf qu’au moment où le prix des matières premières explosent, l’ensemble des boulangers doivent faire monter le prix de leur baguettes pour compenser la hausse de leurs coûts, sauf le boulanger EDF qui avait opté pour des ingrédients plus intéressants.
Et donc forcément, tous les clients qui allaient au supermarché pour acheter du pain retournent chez le boulanger EDF qui propose des baguettes moins chères.
Désormais, sous couvert d’un manque de concurrence, l’État intervient et impose au boulanger EDF de brader ses baguettes de pain et de les vendre à un prix que l’État lui-même fixe pour que les supermarchés puissent se fournir et revendre moins cher le pain du boulanger EDF.
On peut donc faire un parallèle avec les entreprises zombies de ma dernière vidéo où en réalité, EDF qui ne l’est évidemment pas est en train de le devenir à cause de notre État zombie qui lui, ne vise évidemment que le court-termisme et les prochaines élections.
Dans un monde concurrentiel normal, lorsqu’un fournisseur ne sait pas servir ses clients, la théorie veut qu’il fasse faillite et que les clients partent chez ses concurrents. Dans le secteur de l’électricité, le pouvoir politique va demander à l’un des acteurs, EDF, de dépenser plusieurs milliards d’euros afin d’aider ses concurrents à ne pas subir l’évolution des marchés.
Désormais, on est à même de comprendre non seulement, pourquoi il est faux de penser que le soucis proviendrait soit disant de la privatisation d’EDF et que sa “renationalisation” réglerait le problème puisque près de 84% de l’entreprise est possédée par l’État et même si l’entreprise était totalement privée, jamais EDF n’aurait mis en place ou demandé la mise en place de l’ARENH, à moins de vouloir se tirer une balle dans le pied puisque comme on vient de le voir, ce dispositif l’handicape plus qu’il ne l’avantage.

Donc que l’État redevienne actionnaire à 100% ne changera rien : on voit déjà les dégâts et comment sa gestion est en train de ruiner un des fleurons français. D’autant plus, qu’il continue a réclamer à ce que EDF lui verse des dividendes en l’incitant à s’endetter comme le rapporte la Cour des Comptes et le Sénat alors qu’une entreprise dans cette situation aurait déjà coupé le versement de dividendes surtout lorsqu’elle doit faire face à des nombreux investissements,

mais en plus et surtout, jeter la faute sur l’apparente libéralisation ou ouverture à la concurrence est une chimère puisqu’on vient de le voir, la concurrence ne peut s’appliquer que sur moins de 10% de la facture concernant la fourniture et pour que celle-ci fonctionne réellement, l’ARENH ne devrait pas exister. Or l’ARENH est tout, sauf un mécanisme qui aurait émergé au sein d’un marché concurrentiel, bien au contraire.
Cela relève plus de la chimère et du fantasme que de la réalité !
L’Europe avait demandé une libéralisation de l’électricité, en réalité, elle a créé un marché de l’électricité subventionné, dans lequel les bénéfices sont financés non pas par le consommateur, mais par le contribuable.
4. Investir dans EDF ?
Évidemment, arrivé à ce stade, on peut légitimement se demander s’il peut s’avérer être intéressant d’investir dans EDF après la chute de son cours de bourse.
Évidemment, la réponse est non, dans la mesure où l’État est incapable de gérer l’argent du contribuable, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il sache gérer l’argent d’une entreprise et plus sa présence est grande au sein de l’actionnariat, plus il faudrait éviter d’investir dans l’entreprise en question.
D’ailleurs, la Cours des Comptes, l’Institut Montaigne et le Sénat avaient pointés ces problèmes dans différents rapports, comme toujours, tous les liens se trouvent en description de cette vidéo !
5. Version vidéo de l'article