Et si les États-Unis faisaient faillite ? | Plafond de la dette : quelles conséquences ?!
Après de longues négociations, les Démocrates et les Républicains sont parvenus à un accord au Congrès américain pour relever le plafond de la dette publique du Trésor.
Si ces négociations n’avaient pas donné lieu à un accord, les Etats-Unis auraient dû suspendre le paiement de leur dette, ce qui aurait provoqué un véritable tremblement de terre.
A priori, plus de quoi s'inquiéter donc et de nombreuses personnes pensent que le problème est d’ores et déjà résolu. Sauf qu’en réalité, le nouveau plafond a été élevé temporairement pour un nouveau montant de 28.900 milliards de dollars, ce qui ne fait en fait que repousser la date de défaut de paiement au 3 décembre de cette année.
D’ailleurs Janet Yellen, secrétaire au trésor, a récemment dit que “l'accord sur le plafond de la dette n'accorde au Trésor qu'un sursis temporaire jusqu'au 3 décembre”.
Même s’il est en réalité pratiquement impossible que les États-Unis fassent défaut, on pourrait malgré tout assister à une suspension temporaire des paiements si un nouvel accord n’est pas trouvé avant la date fatidique et les effets pourraient en réalité s’avérer extrêmement dévastateur !
Table des matières :
1. Le danger d'un dépassement du plafond de la dette
Aux États-Unis, c’est le Congrès qui fixe une limite à l'endettement maximum auquel le Trésor américain peut avoir recours. Autrement dit, si la dette totale déjà émise par le Trésor américain a atteint la limite de l'autorisation précédente du Congrès et à moins que ce dernier n’autorise une nouvelle augmentation de cette limite, c’est-à-dire une élévation du plafond, le Trésor n'est plus légalement autorisé à emprunter.
Depuis quelques semaines, les démocrates et les républicains négociaient farouchement au Congrès afin que le stock de dette émis par le Trésor, qui était sur le point de toucher le plafond, puisse être relevé, afin de permettre de repousser la limite d'endettement maximale autorisée par le congrès.
Il y a de cela quelques jours, un accord a donc été trouvé pour augmenter ce montant qui était jusqu’alors de 28.400 milliards de dollars et la limite est passé à 28.900 milliards de dollars, c’est-à-dire, 28,9 billions de dollars ou 28,9 trillions américains, soit 12 chiffres après la virgule ou 10 puissance 12.
Pour faire simple, la limite maximale d'endettement du Trésor a simplement été augmentée d'environ un demi-milliards de dollars. Un chiffre qui, comme on peut le voir sur ce graphique, est en fait très proche d'être atteint par le stock de dette actuel.

À l’heure actuelle, le montant du stock de la dette américaine s’élève à 28.430 milliards de dollars et comme on vient de le voir, la limite maximale, du moins, pour le moment, est de 28.900 milliards de dollars.
Aussi, dans quelques semaines, et plus précisément, le 3 décembre, d’après les estimations, les États-Unis auront atteint ce plafond d'endettement. Autrement dit, si cette limite n'est pas une nouvelle fois relevée, si le Congrès n'autorise pas le Trésor à émettre de nouveaux titres d’emprunts, les États-Unis suspendraient les paiements.
D'ailleurs, sans le récent relèvement du plafond de la dette, le Trésor avait estimé qu'il n'aurait plus eu d'argent pour payer les factures du pays à partir du 18 octobre. L'augmentation de 480 milliards de dollars de la limite d'emprunt signée par Biden est donc passée de justesse, même si comme je viens de le dire, cette enveloppe devrait être épuisée d'ici le 3 décembre.
D’ailleurs, à plusieurs reprises, le Président Joe Biden avait twitté :
Ou encore :
C’est dire les tensions qui existent entre les deux partis !
Alors, certes, le Sénat a approuvé cette élévation du plafond à court-terme, sauf que les républicains insistent sur le fait que les démocrates devraient assumer seuls la responsabilité du relèvement du plafond de la dette, car selon eux, les démocrates veulent dépenser des milliards de dollars pour étendre les programmes sociaux et lutter contre le changement climatique, alors que dans le même temps, les démocrates affirment que l'augmentation des emprunts est nécessaire en grande partie pour couvrir le coût des réductions d'impôts et des programmes de dépenses pendant l'administration de l'ancien Président Donald Trump.
D’ailleurs, le leader républicain du Sénat, Mitch McConnell, avait écrit à Biden en lui disant :
2. Dette américaine et défaut de paiement
Arrivé à ce stade, on pourrait se demander quelles seraient les conséquences d’une suspension des paiements.
Actuellement, le déficit budgétaire des États-Unis pour couvrir ses dépenses est tout simplement énorme puisque de l’ordre de 15% du PIB.

De ce fait, le gouvernement a continuellement besoin d’émettre de nouvelles dettes en la faisant rouler à moins que le Congrès ne l’autorise pas, ce qui empêcherait le trésor de faire face à ses dépenses.
À partir de ce moment-là, le gouvernement devrait commencer à arrêter de payer certaines de ses factures, c’est-à-dire que les États-Unis tomberaient en suspension de paiements, à la fois en ce qui concerne le paiement des salaires des fonctionnaires et des transferts sociaux envers les citoyens qui en ont le droit, mais également en ce qui concerne l’amortissement des dettes qui arrivent à échéance, c’est-à-dire le paiement les intérêts ainsi que le capital.
Dans un tel cas de figure, la dette serait automatiquement classifiée comme dette en défaut et cette faillite technique des États-Unis aurait évidemment des répercussions économiques.
Malgré tout, tous les défauts ne se valent pas et il faudrait donc diviser en deux cette situation.
La première situation est due à un manque de capacité économique de l’État lors du paiement de sa dette,
Tandis que la seconde est la conséquence d'une restriction politique, une restriction institutionnelle, a priori temporaire, venant amputer la capacité de l’État à faire face à ses engagements.
Il s’agit évidemment de deux situations qui n'ont pas grand-chose à voir puisque d’un côté, l’État devient insolvable économiquement parlant, ce qui l’empêche de faire face au remboursement de sa dette, par exemple, un État qui s'endette trop par rapport à ses ressources, c’est-à-dire, par rapport à ses revenus fiscaux présents ET FUTURS, auquel cas, il est clair que cette dette ne pourra pas être payé et que l’on assistera à un défaut.
À son tour, ce défaut de paiement pourrait se matérialiser de deux manières différentes :
-Soit au travers d’une répudiation de la dette. Autrement dit, l’État dit tout simplement, je ne paierai pas car je n’en ai pas les moyens et donc ce sont les créanciers, c’est-à-dire ceux qui lui ont prêté qui devront assumer les pertes.
-Soit au travers d’un avilissement de la monnaie, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’une dépréciation de la monnaie, c’est-à-dire pour faire simple, au travers de l’inflation. Autrement dit, l’État continuerait de payer sa dette nominalement parlant mais il ferait marcher la planche à billet pour la rembourser.
Économiquement parlant, cela revient exactement au même.
On pourrait également rajouter une troisième manière qui serait le cas où un gouvernement possède la capacité économique de payer mais il ne veut pas le faire car il considère que cela impliquerait des sacrifices trop onéreux pour sa population ou simplement parce qu'il a décidé d’escroquer les investisseurs : autrement dit prêtez-moi de l’argent mais sachez que je ne vous le rendrez pas.
Même si dans ces trois cas de figure, de nombreuses personnes ainsi que la plupart des politiciens se réjouiraient de la situation, sauf s’il s’agissait de leur argent évidemment, il faut bien rester conscient que les baguettes magiques n’existent pas. Une dette, ça se paie, un engagement doit se tenir car il y a toujours quelqu’un qui trinque et bien souvent, cela revient tel un boomerang.
Dans le cas des États-Unis par exemple, 61% de la dette est détenue par des investisseurs américains dont une bonne partie est détenue au travers de fonds d’investissement, des fonds de pension, des fonds monétaires ou compagnies d’assurance.
Autrement dit, il s’agit de l’épargne de monsieur et madame tout le monde.
Du côté de la France, le schéma est sensiblement le même avec 50,2% de la dette détenue par les citoyens, notamment au travers des fonds euros de nos assurances-vie et même une partie de nos livrets A et autres placements réglementés.
Faire tourner la planche à billets ne résoudrait pas le problème puisque l’inflation impacterait toute les personnes qui utilisent la monnaie pour vivre et qui verraient leur pouvoir d’achat diminuer, c’est-à-dire tout le monde en fait.
D’ailleurs, juste pour l’anecdote, le fait de détenir sa propre dette comme le cas du japon n’est pas non plus une solution et il est tout simplement ridicule de soutenir cet argument. Je sais que de nombreuses personnes voire même des “économistes” soutiennent l’idée que détenir sa propre dette, c’est comme ne rien devoir à personne.
Finalement, dans le second cas, c’est-à-dire la situation à laquelle nous pourrions assister aux États-Unis, n'est pas un défaut dû à un manque de capacité économique de la part du gouvernement à assurer le service de la dette puisqu’il existe bel et bien une solvabilité économique sous-jacente, mais il s’agit plutôt d’une bataille politique interne compliquant la capacité de la classe dirigeante à se coordonner. En effet, ici autant les démocrates que les républicains, les deux partis, ont la ferme volonté de faire face au paiement de cette dette dès que cela sera institutionnellement possible.
3. Les conséquences d'une suspension des paiements
Toujours est-il que pour mieux appréhender un défaut de paiement, on peut par exemple se placer du point de vue de l’investisseur.
Imaginons que tu es investisseur et que tu envisages de prêter de l’argent à ton pays. Si l’État de ce pays n’a pas la capacité économique de payer ou si la nouvelle classe politique ne souhaite pas s’engager à te rembourser, a priori, et à moins que tu sois philanthrope, il est clair que tu ne vas pas acheter la dette de cet État ou alors avec une très forte décote, de 20, 30, 40 voire même 50%, c’est-à-dire en ne lui prêtant qu’un faible montant sur ce qu’il devra te rembourser afin de te prémunir contre un potentiel défaut.
C’est peut-être un risque que tu es prêt à prendre puisque tu lui prêteras par exemple 60€ et s’il respecte son engagement, il te remboursera 100€. Dans ce cas de figure, on est donc face à une situation où l’État à qui tu acceptes de prêter est potentiellement insolvable
Par contre, si on se focalise maintenant sur la dette d’un gouvernement solvable comme celle des États-Unis, imaginons que le 3 décembre arrive et, les démocrates et les républicains n’ont pas trouvé un nouvel accord pour augmenter une énième fois le plafond.
Dans ce cas de figure, les investisseurs savent pertinemment que l’État américain est solvable, il s’agit d’un problème politique. Certes, ils ne sont pas parvenus à un accord avant le 3 décembre, mais cela pourrait avoir lieu dans un mois, dans deux mois ou dans quelques semaines. Autrement dit, les dettes finiront par être payées en totalité, il y aura simplement un retard dans les paiements ce qui ne justifie pas en principe une décote sur les titres de dette, du moins sur le court et moyen terme.
Pour autant et concrètement, quelles seraient les implications d’un défaut temporaire de paiement sur la dette publique américaine ?
En fait, on aurait tort de penser que les marchés financiers ne seraient pas impactés. En effet, un défaut de paiement, même temporaire, générerait à la fois des problèmes de solvabilité et de liquidité chez de nombreux agents.
J’ai déjà expliqué les différences entre un risque de liquidité et de solvabilité et comment on peut passer d’un stade à l’autre, dans un précédent article sur Evergrande en analysant notamment ses comptes financiers.
Donc d’une part, cela générerait des problèmes de solvabilité car il existe des intermédiaires financiers qui sont obligés, soit par leurs propres statuts, soit par la réglementation étatique en vigueur de n'investir que dans des actifs de la plus haute qualité possible. Les titres de dettes publiques étant considérés comme des actifs sans risque, si les États-Unis tombent en défaut de paiement, même s’il n’est que temporaire, la notation de la dette publique par les agences de notation serait abaissée et donc les agents économiques tels que les banques, les fonds de pension ou les fonds monétaires qui sont directement ou indirectement obligés d'être investis uniquement dans des actifs de haute qualité devraient être contraints de vendre leurs titres de dette publique pour se conformer à leurs obligations.
De ce fait, cela provoquerait des ventes forcées massives de titres de dette publique faisant évidemment chuter leur prix de vente sur les marchés, provenant justement, de la liquidation forcée et en grande quantité de ces titres.
Et forcément, si ces institutions finissent par revendre moins cher les titres qu’elles ont acheté, elles revendent à perte, elles vont devoir enregistrer des pertes sur leurs fonds propres. Le problème, c’est que ce sont précisément les institutions financières et en particulier les banques, qui sont les entreprises les moins capitalisées au monde, c’est-à-dire avec des fonds propres extrêmement faibles par rapport à l’actif total de leur bilan comptable et un endettement tout simplement gigantesque.
En d’autres termes, ces ventes à perte pourraient faire tomber en faillite de nombreuses institutions qui deviendraient automatiquement insolvables.
Outre les problèmes de solvabilité, il faut également prendre en compte les problèmes de liquidité.
Il faut savoir qu’actuellement l'un des moyens les plus importants par lesquels certaines institutions ayant besoin de financement parviennent à obtenir de l’argent se fait par l’intermédiaire de ce que l’on appelle en finance des opérations REPO pour Repurchase Agreement en anglais ou “de mise en pension” en Français.
Pour faire simple, une banque détient par exemple un titre de dette publique, elle le vend à une autre banque qui lui prête de l’argent en échange et à la fin de la journée, la première banque s’engage à racheter son titre qu'elle avait vendu comme garantie et la banque prêteuse reçoit en retour son argent.
Ces opérations qui s’effectuent sur ce que l’on appelle le marché monétaire, permet tout simplement de prêter de l’argent tout en disposant d’une garantie, ici le titre de dette, en cas de non-remboursement par la contrepartie.
Aujourd'hui sur les marchés, il est très fréquent pour les banques commerciales, les banques centrales internationales, les compagnies d’assurances ou les chambres de compensation de se financer à court-terme au travers de ce type d’opération, en utilisant notamment des titres de dette publique américaine.
Tu l’as donc compris, si la notation de la dette publique américaine, qui s’utilise traditionnellement comme garantie lors de ces opérations REPO, venait à chuter, le coût de refinancement des ces institutions augmenterait provoquant une crise de liquidité, en plus de la crise de solvabilité que l’on vient de voir précédemment. Donc si une institution financière ne parvient pas à trouver les fonds nécessaires, elle ne pourra pas rembourser ses dettes, ce qui impactera ses créanciers, qui à leurs tours ne pourront pas rembourser leurs créanciers et ainsi de suite. Justement pour rappel, la crise des subprimes de 2008 était due entre autres à l'assèchement des liquidités sur les marchés monétaires et interbancaires, donc il vaut mieux ne pas prendre cela à la légère même si la réserve fédérale injecterait massivement des liquidités pour essayer de boucher les trous.
Donc comme on peut le voir, les problèmes de solvabilité génèrent des problèmes de liquidité et à l’inverse, les problèmes de liquidité génèrent également des problèmes de solvabilité.
Ainsi, même si un échec des négociations entre Républicains et Démocrates pour relever le plafond de la dette ne remettra pas fondamentalement en cause la solvabilité réelle du gouvernement américain à payer ses dettes, la suspension temporaire des paiements pourrait malgré tout avoir de réels impacts.
À titre personnel, je doute fort que l’on arrive à une telle situation et nous le verrons dans un prochain article.
Toujours est-il que c’est précisément pour cette raison que toutes celles et ceux qui nous parlent d'annuler la dette, ne prennent pas en compte l’ampleur des conséquences, donc attention aux raccourcis faciles.
Cela est en réalité bien souvent dû à un manque de connaissances et c’est précisément pour cette raison que comme le disait si bien l’un des meilleurs économistes français, malheureusement souvent oublié, Frédéric Bastiat :
“Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution ou une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit. Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. D’où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d'un petit mal actuel”.
4. Recommandation de livres
Finalement, avant de terminer et pour continuer avec les recommandations de livre et poursuivre la tradition, voici une lecture intéressante de l'auteur Jonathan Haidt. Il s’agit de “L’esprit des justes : pourquoi la politique et la religion divisent les personnes sensées”.
Le livre n’existe pas en français, mais il est disponible en anglais et en espagnol.
La théorie développée par l’auteur tourne autour de ce qu’il appelle les fondements moraux qui part du principe que l’esprit de l’homme est en quelque sorte comme une langue constituée de 6 récepteurs avec des goûts différents que sont : aider son prochain, la justice, la liberté, la loyauté, l’autorité et le sacré.
Selon lui, nous avons chacun la capacité de répondre à ces différents sujets et c’est à partir de nos différents penchants que l’on va opter pour une idéologie ou une autre et donc que nos choix politiques vont s’effectuer. Le problème, c’est qu’aujourd’hui au sein de notre société, on assiste à une bipolarisation, les deux camps se détestent de plus en plus et les réseaux sociaux n’aident évidemment pas à améliorer nos relations sociales ce qui nous empêche de coopérer.
Alors, certes, le livre n’a rien à voir avec la finance et l’économie, mais il est particulièrement intéressant pour remettre en perspective les raisons pour lesquelles, les négociations quant à l’augmentation du plafond de la dette et la coopération entre démocrates et républicains peut s’avérer être extrêmement difficile.
Pour poursuivre avec la citation de Frédéric Bastiat, évidemment son livre “Ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas” est extrêmement recommandable tout comme “l’économie en une leçon” de Henry Hazlitt qui est sans aucun doute un des meilleurs livres d’économie de base pour quelqu’un qui souhaite s’initier en la matière sans aucun calcul mathématique ou terme complexe.
5. Voir la version vidéo